
« Matin Brun » est une nouvelle de l’auteur français Franck Pavloff qui s’est vendue à plus de 2 millions d’exemplaires en France et a été traduite dans 24 langues (Cheyne Éditeur). Ce petit livre au texte puissant presque choquant, a été écrit en réaction aux succès électoraux du Front National à la fin des années 90 et au début des années 2000. À l’image de « 1984 » de Georges Orwell, l’auteur montre comment un régime totalitaire peut se mettre en place rapidement par manque de vigilance, ou si par peur ou soumission, nous nous plions trop rapidement aux nouvelles règles établies.
Les Éditions Callicéphale proposent une version illustrée permettant de sensibiliser les enfants à la responsabilité de chacun face à toute dérive totalitaire, aux extrêmes ou à l’intolérance. Cette édition de « Matin Brun» sous forme de Kamishibai (théâtre de papier d’origine japonaise) constitue un formidable outil pédagogique, à partir de 8 ans.
Les peintures d’Alexandra Grela rendent le texte encore plus accessible. Une bonne lecture et une discussion en suivant, ouvrent de nouvelles possibilités pour présenter l’œuvre à l’école sous forme de spectacle-débat. Il y a quelques années, personne n’aurait imaginé que Matin Brun serait publié sous forme de théâtre en papier. Mais cette forme est peut-être la plus adaptée pour réaliser le souhait de Franck : « Que ces simples pages passent entre toutes les mains, s’échangent, se commentent, que chaque lecteur, quel que soit son âge, sa situation sociale, se demande comment il peut faire, au quotidien, pour que les paroles de haine soient remplacées par des chants d’espérance. »
Interview avec Franck Pavloff
– Quels événements ont contribué à la naissance de cette nouvelle ?
Des élections dans mon pays. Un parti politique extrémiste de France avançait des valeurs dangereuses pour une démocratie apaisée : le racisme, le rejet de l’étranger, la xénophobie, la préférence nationale. À vouloir jouer avec les peurs ils enclenchaient un processus dont l’histoire récente nous rappelle qu’il peut déboucher sur la barbarie. Comme je suis écrivain je me suis servi de la forme courte d’une nouvelle pour mettre en scène ce processus mortifère.
– Pourquoi avez-vous choisi le chat et le chien, les animaux domestiques préférés, comme exemples pour montrer les étapes de l’établissement d’un État totalitaire ?
Les pouvoirs autoritaires s’immiscent aujourd’hui dans la vie des gens par petites touches qui peuvent paraître peu importantes. Quoi de plus banal, de plus quotidien qu’un chat ou un chien dont on va interdire certaines races pour le plus grand bien des propriétaires ? Mais une fois acceptée cette mesure, « pour être tranquille et avoir la paix », il est déjà trop tard, ce pouvoir-là s’est installé chez-vous, et il va mettre en place d’autres mesures encore plus coercitives, jusqu’à menacer votre propre liberté.
– Dans quelle mesure cette nouvelle est-elle toujours d’actualité 20 ans après ?
Dans mon pays, dans l’Europe et ailleurs, des discours autoritaires et populistes sont en train de vouloir redéfinir les frontières des pays avec des accents nationalistes, identitaires et xénophobes. Les fabricants de barbelés et de miradors sont à la fête, ces nations rêvent de s’enfermer derrière leurs frontières, comme si le « mal » venait de l’extérieur. Mais, ne nous y trompons pas, une fois « l’ennemi extérieur » repoussé, les Autorités vont se retourner contre le « ennemis intérieurs », c’est-à-dire les minorités, ethniques, religieuses, sociales, etc. et bientôt contre toute dissidence.
– Dans quelle mesure, pensez-vous que le format du Kamishibaï peut être utile à la compréhension et l’analyse du texte ?
Le Kamishibaï a la vertu de se tenir à la limite d’un texte et d’un conte. En fonction du public les mots vont s’adapter, on va insister sur un point, éluder d’autres. Comme si le texte se réécrivait en direct, avec la force d’une présentation en groupe. Et les illustrations soutiennent l’attention et scandent la dramaturgie de l’histoire.
– À partir de quel âge conseilleriez-vous la lecture de « Matin brun »?
Grâce au Kamishibaï, un enfant de huit ans commence à comprendre que devant une injustice (on prend mes animaux préférés, on m’interdit les livres que j’aime, etc.) il faut savoir dire non. Résister quoi !
– Pourquoi est-il important de parler de ce sujet avec les enfants ?
L’apprentissage de « l’éveil » citoyen peut s’effectuer dans la simplicité : comment respecter quelqu’un de « différent », comment ne pas tout accepter, apprendre à poser des questions, etc.
– Que pouvons-nous faire individuellement contre la montée d’une dictature ?
Matin Brun n’est pas un livre qui donne des recettes, mais un texte qui, sans faire la morale, interroge le lecteur, le traite en responsable, quelque soit son âge, son sexe, sa condition sociale. La réponse lui appartient. Mais ne désespérons pas d’un monde de plus en plus complexe, après tout, la complexité est le moyen d’échapper au formatage que voudrait nous imposer les États totalitaires. Luttons contre l’uniformité, contre la couleur unique, contre la pensée unique.
– Au moment où vous avez écrit cette nouvelle, pensiez-vous qu’elle recueillerait autant de succès en France et à l’étranger ?
Bien sûr que non, aucun éditeur n’en voulait ! Et puis un éditeur de poésie a accepté d’en diffuser quelques milliers d’exemplaires. « Ton texte est fort, me disait-il, et comme pour les recueils de poésie, ce qui est important c’est l’impact des mots. Les tiens sont dans une urgence nécessaire. « Il avait raison, en France il y a maintenant plus de deux millions d’exemplaires vendus, on en a réalisé des films d’animations, de nombreuses pièces de théâtre, des musiques, de l’opéra au rock, etc. Le texte est traduit dans vingt-cinq pays. Qui veut faire vivre le texte peut s’y employer.
Avril 2017
Matin Brun
de Franck Pavloff & Alexandra Greta
Éditeur : Callicéphale
Charlie et son copain vivent une époque trouble, celle de la montée d’un régime politique extrême l’État brun.
Dans la vie, ils vont d’une façon bien ordinaire : entre bière et belote. Ni des héros, ni de purs salauds.
Simplement, pour éviter les ennuis, ils détournent les yeux.
Sait-on assez où risquent de nous mener collectivement les petites lâchetés de chacun d’entre nous ?