Extrait du livre Ce sera le plus grand pont du monde
Ce sera le plus grand pont du monde ! de Michel L'Hébreux aux éditions Les 400 Coups
Ce sera le plus grand pont du monde ! La construction du pont de Québec 1900 - 1917
Au XIXe siècle, un pont de glace était aménagé, l’hiver, sur le fleuve Saint-Laurent pour permettre les échanges entre la ville de Lévis, sur la rive sud, et celle de Québec, sur la rive nord.
Le train arrive Novembre 1854. Avec la construction du chemin de fer, le train arrive pour la première fois sur la rive sud du fleuve Saint-Laurent, à Lévis, en face de la ville de Québec. Ce nouveau moyen de transport va transformer profondément la vie des habitants de toute la région. La ville de Québec, de l’autre côté du fleuve, sans moyen de transport moderne, perd alors beaucoup d’importance. Le commerce et toutes les activités maritimes se développent dorénavant du côté de Lévis. Chantiers, industries, hôtels et magasins de toutes sortes s’installent près du chemin de fer. À Québec, les dirigeants de la ville cherchent un moyen de récupérer une partie des activités qui font la prospérité de Lévis. On construit un bateau spécial appelé « traversier-rail » qui permet de transporter des wagons d’une rive à l’autre du fleuve. Mais construire un pont, ne serait-ce pas la meilleure solution ?
Un grand projet La Quebec Bridge Company, dirigée par le maire de Québec, Simon-Napoléon Parent, commande des études à un ingénieur, M. Hoare, qui fait les recommandations suivantes : « Le site près de la rivière Chaudière m’apparaît être le meilleur emplacement pour construire le pont. [...] C’est là que le Saint-Laurent est le plus étroit [...] et à cet endroit on aurait à creuser moins profondément dans le sol pour atteindre le roc sur lequel s’appuieront les piliers du pont. [...] Je recommande également de construire un pont de principe cantilever, reconnu pour sa solidité. » Qu’est-ce qu’un pont cantilever ? Voici l’explication de M. Hoare. Les deux chaises portent le poids des deux hommes assis de chaque côté, comme les piliers principaux du pont le feront pour la structure placée au-dessus. Les bras des hommes, étendus, sont appuyés sur des bâtons. Les bras et les bâtons représentent les bras cantilever et les bras d’ancrage du pont. La planche au centre, sur laquelle est assis un Japonais, c’est la travée centrale suspendue. Les briques situées aux deux extrémités représentent les piliers d’ancrage, qui serviront de contrepoids. Ainsi, la charge exercée sur la planche centrale crée deux types de forces : une tension (force qui tire) sur les bras des deux hommes et sur les câbles d’ancrage ; une compression (force qui pousse) sur les corps des deux hommes, à partir des épaules vers le bas, ainsi que sur les bâtons utilisés pour soutenir leurs bras. C’est ce jeu de forces en présence qui permet au pont de soutenir le tablier et de supporter une lourde charge.
Quatre piliers La construction des piliers débute en octobre 1900. Les ouvriers de la William Davis & Sons Co. doivent creuser le lit du fleuve pour atteindre le roc sur lequel les quatre piliers du pont vont s’appuyer. Ils utilisent des caissons pour travailler sous l’eau. Ce sont de grosses boîtes en bois, sans fond, que l’on enfonce dans l’eau. À l’intérieur, comme dans les avions, on maintient de l’air sous compression pour chasser l’eau et permettre aux ouvriers de travailler. Au fond du caisson, marchant dans la boue jusqu’aux genoux, une quarantaine d’hommes doivent pelleter la terre détrempée et les cailloux que des aspirateurs projettent à l’extérieur. Les grosses pierres sont évacuées par un tuyau. Parfois, il faut dynamiter la roche, et il arrive que les éclats produits par les explosions blessent les travailleurs qui n’ont aucun endroit pour se mettre à l’abri. Les variations de la pression d’air provoquent des saignements, des évanouissements et des paralysies. Certains ouvriers en meurent.
La superstructure Comme le pont doit être gigantesque (près de 1 kilomètre de long), on fait appel à un ingénieur expert de New York, Theodore Cooper, qui a déjà réalisé plusieurs ponts importants aux États-Unis, dont celui qui enjambe le Mississippi, à Saint-Louis. Aussitôt engagé, Cooper modifie le plan du pont, en allongeant de 61 mètres la distance entre les piliers principaux, sans toutefois revoir ses calculs. Ainsi, le pont de Québec sera le plus long pont cantilever au monde, avec une portée libre de 549 mètres entre ses piliers principaux, soit 28 mètres de plus que le pont du Forth, en Écosse ! La construction de la superstructure débute en 1905. Elle est confiée à une compagnie américaine, la Phoenix Bridge Co. Les travaux avancent jusqu’à l’été 1907, quand les ouvriers constatent que certaines membrures se courbent et qu’ils ont de la difficulté à aligner les pièces de métal. Les jours où le vent souffle fort, des ouvriers, craignant pour leur vie, refusent même de travailler.