Chez moi

Chez moi

9-12 ans - 39 pages, 10435 mots | 1 heure 17 minutes de lecture | © Éditions du Jasmin, 2019, pour la 1ère édition - tous droits réservés


Chez moi

9-12 ans - 1 heure 17 minutes

Chez moi

"Chez moi" vous est proposé à la lecture version illustrée, ou à écouter en version audio racontée par des conteurs et conteuses. En bonus, grâce à notre module de lecture, nous vous proposons pour cette histoire comme pour l’ensemble des contes et histoires une aide à la lecture ainsi que des outils pour une version adaptée aux enfants dyslexiques.
Du même éditeur :

Extrait du livre Chez moi

Chez moi écrit par Didier Reuss et Jessica Reuss-Nliba, Aux éditions du Jasmin


Chez moi
L’arrivée À mon arrivée en France, ma première pensée a été : « Comme c’est beau ! » Je n’en croyais pas mes yeux. Je voyais des escaliers métalliques qui vous permettaient de monter sans bouger un pied, des immenses tapis roulants, ceux-là aussi fonctionnaient tout seuls, nous n’avions même pas besoin de marcher et ils menaient si loin qu’on ne pouvait pas voir jusqu’où ils allaient ! Je me demandais comment ne pas se perdre dans ce dédale de halls, de comptoirs, de compagnies aériennes, de boutiques. Et toutes ces enseignes lumineuses ! C’était impressionnant ! Peu avant l’atterrissage, le pilote avait annoncé un ciel nuageux et une température fraîche, alors j’avais essayé d’apercevoir le ciel gris de France
à travers les hublots de l’avion lorsqu’il s’était posé sur la piste. Dans l’aéroport, je ressentais déjà cette drôle de sensation de froid. Il faut dire que ma tenue n’était pas des plus adéquates : une petite chemise en wax que j’avais l’habitude de porter à tout moment à Douala ! Après avoir observé l’aéroport, je me suis attardé sur les gens : ils semblaient tous pressés, allaient et venaient dans tous les sens, certains avec d’énormes valises empilées sur des chariots à roulettes, d’autres avec de simples sacs de voyage. Ils paraissaient tous très concentrés sans se préoccuper de ce qui se passait autour d’eux. Rien à voir avec l’ambiance de l’aéroport de Douala : à peine le pied au sol, un voyageur se voit proposer des chariots par une multitude de personnes contre un peu d’argent, et tout le monde se rencontre, se bouscule, s’adresse la parole simplement pour un oui, pour un non, en attendant de pouvoir récupérer les valises et sortir de l’aéroport. Nous sommes restés longtemps à la douane. Le douanier étudiait nos passeports avec beaucoup d’attention et nous observait d’un air soupçonneux… comme si nous venions de nous échapper de prison ! Enfin il nous a fait signe de passer, d’un bref mouvement de tête, sans prononcer la moindre parole… Pas un « bonjour », pas un « bienvenue », comme on peut voir dans les films français qui passent à la télévision camerounaise. C’est vraiment du cinéma, tiens ! Nous avons ensuite récupéré nos valises sur un grand tapis roulant et traversé de nouveau tout l’aéroport en sens inverse pour pouvoir enfin sortir de cet immense bâtiment. Nous sommes entrés dans un couloir long, long, long, et tout au bout se trouvait un escalier roulant qui nous a conduits directement sur un grand quai : le RER. Un train bleu, blanc, rouge est arrivé et s’est arrêté dans un grand bruit métallique. Nous avons à peine eu le temps d’entrer dans le wagon avec toutes nos valises. On a entendu le signal sonore qui indique que les portes vont se refermer et que le train va partir. Que de choses automatiques dans ce pays : les escaliers, les tapis, les portes ! J’avais l’impression de me trouver au milieu du tournage d’un film de science-fiction, comme ceux que j’ai aussi vus chez moi, à la télé, et dont l’action se déroule dans les années 2500. J’étais assis, accoudé à une fenêtre. Au début, il n’y avait rien à voir, car nous traversions un long tunnel très sombre. Nous en sommes sortis et j’ai pu alors regarder un nouveau paysage défiler devant mes yeux. J’étais ébahi… Tout était fabuleux, les immeubles bien plus larges et surtout bien plus hauts que chez moi, les voitures bien plus modernes ! Et les gens ! Tous emmitouflés
dans d’épais manteaux, des foulards autour du cou et des chapeaux sur la tête, mais ces derniers n’étaient pas là pour protéger du soleil ! Une pluie fine semblait ne jamais vouloir s’arrêter, mais ne paraissait nullement gêner les gens. Quand je levais les yeux, je ne voyais pas le soleil, simplement du gris, du gris et encore du gris. Ma première impression de la France pouvait se résumer en ces quelques mots : « le pays du sacré gris », car je n’avais encore jamais vu un ciel rester aussi longtemps gris… C’était donc cela « les saisons », il paraît qu’ici, il y a quatre saisons, toutes différentes : l’automne est gris et frais, l’hiver est froid, sombre ou blanc cotonneux lorsqu’il neige, le printemps est multicolore quand tout fleurit, et l’été est chaud et ensoleillé un peu comme chez nous. À Douala, il y a la saison sèche avec un ciel bien bleu et la saison des pluies avec le même ciel bleu, simplement traversé par des nuages gonflés d’eau qui tombe en averses courtes et brutales, mais la température est toujours plus ou moins la même. Bref, cette grisaille automnale m’intriguait énormément, j’avais très envie d’expérimenter les sensations de toutes ces nouvelles saisons ! Assis face à moi, mes parents étaient très heureux de se retrouver ! Ils échangeaient des regards langoureux, pleins d’amour. Papa demandait des nouvelles de toute la famille au Cameroun, et maman lui répondait que tout le monde se portait bien, son père, sa mère ainsi que tous ses frères et sœurs. Ils sont nombreux maintenant et la famille s’est encore agrandie récemment avec deux mariages et la naissance de deux petites filles ! Papa pense souvent à son frère Abel et à sa femme, ainsi qu’à son autre frère Jean-Julien et à ses enfants, et aussi à Paul, à Doudou, à Vicky, à Océane, à Kiki et à son mari Hervé… Sans oublier les cousins, les cousines, les oncles, les tantes, et tous ceux avec qui il a grandi. Il faut dire que la famille, au Cameroun, c’est quelque chose ! Papa connaît déjà bien la France, puisque cela fait maintenant trois ans qu’il y vit et y travaille. Pour maman et moi, en revanche, c’est une vraie découverte. Quand il nous a vus grelotter dans nos vêtements africains, il nous a dit qu’il ferait encore plus froid dans quelques semaines avec l’arrivée de l’hiver. « Mais ne vous inquiétez pas », nous a-t-il rassurés, « je vous ai acheté des vêtements bien chauds ! » Je lui ai demandé si on apercevait parfois le soleil en hiver. « Bien entendu, même si le froid est là, il y a parfois de très belles journées ensoleillées. C’est même magnifique quand il a neigé et que le soleil se lève ensuite ! La neige étincelle sous les rayons du soleil, c’est féérique ! »
2 Avant le départ Papa a perdu son travail de géomètre il y a six ans. À l’époque, nous vivions à Douala. Il n’a jamais pu retrouver un travail équivalent. Il a alors fait divers petits boulots. Il a réparé des motos dans l’atelier d’un cousin, vendu du poisson braisé au marché. Il a aussi ouvert une call-box, une de ces boutiques très répandues qui mettent à disposition des téléphones pour une somme modique. Mais tout cela ne rapportait pas assez et il avait de plus en plus de difficultés à faire vivre la famille. Un beau jour, une opportunité s’est présentée : un oncle qui vivait en Europe depuis plus de quinze ans a proposé à papa de le rejoindre pour travailler dans le secteur du bâtiment près de Paris. « Une occasion en or ! a dit papa, car c’est devenu de plus en plus difficile de s’installer en Europe… »
Et c’est ainsi qu’il est parti. J’étais alors tout petit, mais je me souviens encore de la douleur dans mon cœur lorsque son avion s’est envolé. J’ai beaucoup pleuré, maman aussi. Je ne connais pas tous les détails de son départ, car j’étais beaucoup trop jeune à l’époque, mais je sais qu’il est parvenu à obtenir un visa, c’est-à-dire un tampon qu’on te met sur le passeport et qui permet de quitter le pays et de voyager. C’est ainsi qu’il s’est installé à Paris et qu’il a pu travailler. Depuis son départ, papa envoie régulièrement de l’argent à maman afin que nous puissions continuer à vivre et à ne manquer de rien. Papa nous appelait souvent. Parfois nous parvenions même à nous voir : maman et moi allions dans un cyber-café et nous pouvions alors discuter tous ensemble et nous voir avec la Webcam. Ce n’était bien sûr pas comme s’il était là, avec nous, mais c’était déjà extraordinaire de pouvoir parler avec lui et de le voir tout souriant, en pleine forme. Il y a quelques mois, papa nous a appelés et nous a expliqué qu’il avait trouvé un moyen de nous faire venir en France, maman et moi, afin que nous puissions vivre tous les trois ensemble, grâce à une procédure qui s’appelle « le regroupement familial ». Papa est rentré à Douala, puis il est allé à Yaoundé à l’ambassade de France remplir des tas de papiers pour que nous puissions le rejoindre en toute légalité. Et voilà pourquoi nous avons pris l’avion hier soir. Je ne réalisais pas encore vraiment que je quittais mon pays pour très longtemps, peut-être même pour toujours, que je quittais aussi toute ma grande famille, mes camarades de classe, et tout ce qui m’était cher et familier, pour me retrouver dans un pays totalement inconnu. On me l’avait parfois décrit beau, varié, riche, mais aussi froid avec des gens stressés. Et puis on m’avait expliqué ces drôles de saisons ; ce fameux hiver souvent glacial, qui, si on ne prend pas soin de bien se couvrir, vous colle le mal de gorge en quelques minutes ; LE RHUME ! On m’a dit également que les Européens ne sont pas toujours très hospitaliers d’entrée de jeu, qu’ils sont aussi froids que leur hiver, qu’ils travaillent beaucoup et ne prennent que rarement le temps de se détendre et de faire la fête, mais aussi qu’une fois la glace brisée, ils sont adorables et fidèles en amitié. Enfin, on m’a dit que Paris avec toute sa banlieue est une ville très étendue, bien plus grande que Douala ou Yaoundé, avec des monuments magnifiques, notamment une tour tout en métal qui s’appelle
la tour Eiffel, si haute que de son sommet, quand il fait beau et clair, on peut y admirer presque tout le pays !!! Mais ça, j’ai du mal à y croire, il faudra que je vérifie… 3 L’installation Le trajet en RER m’a semblé très rapide. Le train était tellement silencieux que l’on pouvait se parler à voix basse et se comprendre facilement. Les stations se succédaient et se ressemblaient toutes : à chaque arrêt, de grands panneaux indiquaient clairement le nom de la ville ou du quartier. À l’approche d’un arrêt, toutes les deux ou trois minutes, la voix d’une femme qu’on ne voyait même pas indiquait le nom de la station au moment où les portes s’ouvraient. Je trouvais ça trop fort ! Des gens entraient, sortaient, entraient, sortaient, comme des automates. Dès que les portes s’ouvraient, un courant d’air froid s’engouffrait dans le wagon et m’emplissait de frissons. Histoire de me rappeler que le climat d’ici n’avait pas grand-chose à voir avec celui de Douala. Enfin
un petit bip retentissait à chaque fois que les portes se refermaient. J’étais stupéfait, j’observais tout avec grande attention : chaque détail, même le plus insignifiant, me paraissait la découverte du siècle. La nuit commençait à tomber et le paysage composé de toute cette nouvelle architecture s’assombrissait à mesure que la lumière du jour s’estompait. C’était le soir, les rues devenaient désertes, quelques voitures roulaient lentement. « Encore une station et nous serons arrivés », a annoncé papa. *** Nous étions maintenant tous les trois seuls sur le trottoir, encombrés de nos valises pleines à craquer et d’énormes sacs de voyage. Maman avait tenu à emporter avec elle beaucoup de choses du pays : du tissus pour se fabriquer des pagnes, des fruits et des légumes, car elle pensait que les ignames, les bananes plantain, les macabos et autres spécialités de chez nous seraient certainement difficiles à trouver ici. Le vent me faisait mal dans le creux de l’oreille et mon nez coulait, j’avais bien peur d’avoir déjà attrapé ce fameux rhume ! Un autobus est arrivé et nous sommes parvenus tant bien que mal à monter à l’intérieur en hissant nos encombrants bagages. Le bus me paraissait très beau et tout neuf, les sièges, d’un tissu à rayures tout doux, agréable au toucher. Il était tout aussi silencieux que le train. Comparés aux autocars bringuebalants dans lesquels j’avais l’habitude de voyager en Afrique, c’était du grand luxe. La route était tellement lisse que l’on ne ressentait pratiquement aucune secousse, contrairement aux routes de beaucoup de quartiers de Douala, très souvent parsemées de nids-de-poule, quand elles ne sont pas tout simplement en terre battue. Seuls quelques tags sur les vitres parvenaient à contrarier mes douces sensations. Nous avons roulé un petit quart d’heure, puis papa a appuyé sur un bouton pour allumer le signal arrêt demandé qui permettait au chauffeur de savoir que nous voulions descendre à la prochaine station. Nous étions enfin arrivés dans notre nouvelle maison. *** C’était une espèce de cube situé à mi-hauteur d’un bâtiment qui me semblait infiniment haut, avec une façade de crépi beige.