Extrait du livre Pouce
Pouce écrit par Raphaële Frier Et illustré par Kam Aux éditions du Pourquoi pas ?
Pouce
Elle, c’est Madame. Madame à l’orée de la forêt. Madame qui rit parce que son ventre s’arrondit. Deux ans qu’elle attend de devenir une maman. Lui, c’est Monsieur. Monsieur qui veut un petit bébé, aussi. Monsieur qui attend et qui s’impatiente. Et ça, c’est l’horloge avec le temps qui passe. Les aiguilles tournent, et le ventre de Madame grossit.
Un jour, l’enfant pointe le bout de son nez. Mais comme il est petit, ce bébé! Comme il paraît insignifiant! — Pas plus grand qu’un pouce, se désole le papa. — Il a l’air si fragile, s’inquiète la maman. Les bois vont le manger tout cru ! — Faisons un vœu ! Pour qu’il grandisse, qu’il grossisse, qu’il s’arme contre la grande forêt.
Dès lors, Pouce s'accroche au sein de sa maman. «Mange, mange, lui répètent ses parents, ou la montagne te mangera ! » Il tète. Il tète le jour, la nuit, entre le jour et la nuit, il tète par temps de soleil, de pluie ou de grand vent. Il boit des litres et des litres de lait. Au bout d'un mois, il a déjà triplé de volume et de taille. — Quel glouton ! s’amuse Monsieur. — Quel bonheur, se réjouit Madame, il a rattrapé son retard de croissance !
Seulement plus il grandit, plus sa mère se ratatine. Bientôt, son sein ne suffit plus. Alors on tire le lait de la chèvre, on achète une vache. À toute vitesse, le chérubin vide leur pis avant d'engloutir des louches de purée. Monsieur et Madame n'ont pas le choix. Ils coupent quelques arbres pour agrandir leur potager. Ils tuent leurs poules, puis leur chèvre et leur vache, car rien n’apaise la faim de leur enfant.
L'horloge fait son travail. Sans relâche, elle pousse les aiguilles. Et Pouce n'en finit pas de grandir et de grossir. Un jour, il ne rentre plus dans son lit. Il ne tient plus dans les bras de sa mère, ni dans ceux de son père. Bientôt, il ne pourra plus passer par la porte de la maison. Monsieur et Madame contemplent leur lopin dévasté. Ils réalisent qu'ils n'ont plus rien. Leur enfant a tout avalé autour d'eux. La famille au complet dépérit. L'horloge compte les heures et les jours de désespoir. Et la forêt, qui a commencé à reculer, les regarde d'un mauvais œil. Elle s'arme d'épines et de venin.