Extrait du livre La peine de Sophie-Fourire
La peine de Sophie-Fourire de Nadine Poirier et Amélie Dubois aux éditions Les 400 coups
La peine de Sophie-Fourire
Avant, quand maman était là, j’étais mademoiselle Sophie-Fourire. C’est le nom qu’elle me donnait parce que je riais tout le temps. Devant le grand miroir de sa chambre, nous faisions des grimaces. Maman se transformait en monstre qui louche et moi, en grenouille à grande bouche.
Dans ses bras, précieusement enveloppée, je sentais son ventre rebondir contre le mien. Le rire de maman retentissait dans la pièce. On aurait dit un âne qui aurait avalé une trompette. Qu’il était drôle, le rire de maman ! Le mien chantait do-ré-mi-fa-sol-la-si-do, comme un accordéon à dos de chameau. Par la fenêtre entrebâillée, nos fous rires s’évadaient. Quel bruit dans notre rue ! Nos voisins n’en pouvaient plus. Papa disait qu’il n’était pas très bon pour grimacer. Il préférait prendre des photos de nous qu’il déposait sur la table du salon. Là, il les contemplait en souriant. De jolies notes de musique dansaient dans ses yeux.
Puis un matin, maman est partie pour toujours, après un terrible accident. Les notes de musique dans les yeux de papa ont disparu le même jour. Mon rire accordéon s’est replié dans ma gorge. Ainsi refermé, il me faisait très mal. Je n’osais pas pleurer. Les gouttes de peine brisent les photos, m’avait confié papa. Il les rangea aussitôt.