Le bourgeois gentilhommes

Le bourgeois gentilhommes

13-15 ans - 53 pages, 18118 mots | 2 heures 11 minutes de lecture | © Storyplay'r, pour la 1ère édition - tous droits réservés


Le bourgeois gentilhommes

13-15 ans - 2 heures 11 minutes

Le bourgeois gentilhommes

Lorsque Molière fait jouer pour la première fois Le Bourgeois gentilhomme à Chambord en 1670 devant le Roi et la cour, Monsieur Jourdain n'est pas seulement un père qui entrave les projets de mariage de sa fille. Car, bien au-delà de cette histoire d'amour traditionnelle, la comédie-ballet se déploie en un grand spectacle avec danses et musique, où le comique et la satire prennent constamment pour cible le bourgeois qui s'est mis en tête de devenir gentilhomme et finit en mamamouchi ridicule.

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Extrait du livre Le bourgeois gentilhommes

Le bourgeois gentilhomme de Molière


PERSONNAGES MONSIEUR JOURDAIN, bourgeois. MADAME JOURDAIN, sa femme. LUCILE, fille de M. Jourdain. NICOLE, servante. CLÉONTE, amoureux de Lucile. COVIELLE, valet de Cléonte. DORANTE, Comte, amant de Dorimène. DORIMÈNE, Marquise. MAÎTRE DE MUSIQUE. ÉLÈVE du MAÎTRE de MUSIQUE, élève du Maître de musique. MAÎTRE À DANSER. MAÎTRE D'ARMES. MAÎTRE DE PHOLOSOPHIE. MAÎTRE TAILLEUR. GARÇON TAILLEUR. DEUX LAQUAIS. PLUSIEURS MUSICIENS, musiciennes, joueurs d'instruments, danseurs. CUISINIERS, garçons tailleurs, et autres personnages des intermèdes et du ballet. La scène est à Paris.
ACTE I L'ouverture se fait par un grand assemblage d'instruments ; et dans le milieu du théâtre on voit un élève du Maître de musique, qui compose sur une table un air que le Bourgeois a demandé pour une sérénade. SCÈNE I. Maître de musique, Maître à danser, trois Musiciens, deux Violons, quatre Danseurs. LE MAÎTRE DE MUSIQUE, parlant à ses musiciens. Venez, entrez dans cette salle, et vous reposez là, en attendant qu'il vienne. LE MAÎTRE À DANSER, parlant aux Danseurs. Et vous aussi, de ce côté. LE MAÎTRE DE MUSIQUE, à l'élève. Est-ce fait ? L'ÉLÈVE. Oui. LE MAÎTRE DE MUSIQUE. Voyons... Voilà qui est bien. LE MAÎTRE À DANSER. Est-ce quelque chose de nouveau ? LE MAÎTRE DE MUSIQUE. Oui, c'est un air pour une sérénade, que je lui ai fait composer ici, en attendant que notre homme fût éveillé. LE MAÎTRE À DANSER. Peut-on voir ce que c'est ? LE MAÎTRE DE MUSIQUE. Vous l'allez entendre, avec le dialogue, quand il viendra. Il ne tardera guère. LE MAÎTRE À DANSER. Nos occupations, à vous, et à moi, ne sont pas petites maintenant. LE MAÎTRE DE MUSIQUE. Il est vrai. Nous avons trouvé ici un homme comme il nous le faut à tous deux ; ce nous est une douce rente que ce Monsieur Jourdain, avec les visions de noblesse et de galanterie qu'il est allé se mettre en tête ; et votre danse et ma musique auraient à souhaiter que tout le monde lui ressemblât. LE MAÎTRE À DANSER. Non pas entièrement ; et je voudrais pour lui qu'il se connût mieux qu'il ne fait aux choses que nous lui donnons. LE MAÎTRE DE MUSIQUE. Il est vrai qu'il les connaît mal, mais il les paye bien ; et c'est de quoi maintenant nos arts ont plus besoin que de toute autre chose. LE MAÎTRE À DANSER. Pour moi, je vous l'avoue ; je me repais un peu de gloire ; les applaudissements me touchent ; et je tiens que dans tous les beaux arts, c'est un supplice assez fâcheux que de se produire à des sots que d'essuyer sur des compositions la barbarie d'un stupide. Il y a plaisir, ne m'en parlez point, à travailler pour des personnes qui soient capables de sentir les délicatesses d'un art, qui sachent faire un doux accueil aux beautés d'un ouvrage, et par de chatouillantes approbations vous régaler de votre travail. Oui, la récompense la plus agréable qu'on puisse recevoir des choses que l'on fait, c'est de les voir connues, de les voir caressées d'un applaudissement qui vous honore. Il n'y a rien, à mon avis, qui nous paye mieux que cela de toutes nos fatigues ; et ce sont des douceurs exquises que des louanges éclairées. LE MAÎTRE DE MUSIQUE. J'en demeure d'accord, et je les goûte comme vous. Il n'y a rien assurément qui chatouille davantage que les applaudissements que vous dites. Mais cet encens ne fait pas vivre ; des louanges toutes pures ne mettent point un homme à son aise : il y faut mêler du solide ; et la meilleure façon de louer, c'est de louer avec les mains. C'est un homme, à la vérité, dont les lumières sont petites, qui parle à tort et à travers de toutes choses, et n'applaudit qu'à contre-sens ; mais son argent redresse les jugements de son esprit ; il a du discernement dans sa bourse ; ses louanges sont monnayées ; et ce bourgeois ignorant nous vaut mieux, comme vous voyez, que le grand seigneur éclairé qui nous a introduits ici. LE MAÎTRE À DANSER. Il y a quelque chose de vrai dans ce que vous dites ; mais le trouve que vous appuyez un peu trop sur l'argent ; et l'intérêt est quelque chose de si bas, qu'il ne faut jamais qu'un honnête homme montre pour lui de l'attachement. LE MAÎTRE DE MUSIQUE. Vous recevez fort bien pourtant l'argent que notre homme vous donne. LE MAÎTRE À DANSER. Assurément ; mais je n'en fais pas tout mon bonheur, et je voudrais qu'avec son bien il eût encore quelque bon goût des choses.
LE MAÎTRE DE MUSIQUE. Je le voudrais aussi, et c'est à quoi nous travaillons tous deux autant que nous pouvons. Mais, en tout cas, il nous donne moyen de nous faire connaître dans le monde ; et il payera pour les autres ce que les autres loueront pour lui. LE MAÎTRE À DANSER. Le voilà qui vient. SCÈNE II. Monsieur Jourdain, deux Laquais, Maître de musique ; Maître à danser, Violons, Musiciens et Danseurs. MONSIEUR JOURDAIN. Hé bien, Messieurs ? Qu'est-ce ? Me ferez-vous voir votre petite drôlerie. LE MAÎTRE À DANSER. Comment ? Quelle petite drôlerie ? MONSIEUR JOURDAIN. Eh la... Comment appelez-vous cela ? Votre prologue ou dialogue de chansons et de danse. LE MAÎTRE À DANSER. Ah ! Ah ! LE MAÎTRE DE MUSIQUE. Vous nous y voyez préparés. MONSIEUR JOURDAIN. Je vous ai fait un peu attendre, mais c'est que je me fais habiller aujourd'hui comme les gens de qualité ; et mon tailleur m'a envoyé des bas de soie que j'ai pensé ne mettre jamais. LE MAÎTRE DE MUSIQUE. Nous ne sommes ici que pour attendre votre loisir. MONSIEUR JOURDAIN. Je vous prie tous deux de ne vous point en aller, qu'on ne m'ait apporté mon habit, afin que vous me puissiez voir. LE MAÎTRE À DANSER. Tout ce qu'il vous plaira. MONSIEUR JOURDAIN. Vous me verrez équipé comme il faut, depuis les pieds jusqu'à la tête. LE MAÎTRE DE MUSIQUE. Nous n'en doutons point. MONSIEUR JOURDAIN. Je me suis fait faire cette indienne-ci. LE MAÎTRE À DANSER. Elle est fort belle. MONSIEUR JOURDAIN. Mon tailleur m'a dit que les gens de qualité étaient comme cela le matin. LE MAÎTRE DE MUSIQUE. Cela vous sied à merveille. MONSIEUR JOURDAIN. Laquais ! Holà, mes deux laquais ! PREMIER LAQUAIS. Que voulez-vous, Monsieur ? MONSIEUR JOURDAIN. Rien. C'est pour voir si vous m'entendez bien. (Aux deux Maîtres.) Que dites-vous de mes livrées ? LE MAÎTRE À DANSER. Elles sont magnifiques. MONSIEUR JOURDAIN. (Il entr'ouvre sa robe et fait voir un haut-de-chausses étroit de velours rouge, et une camisole de velours vert, dont il est vêtu.) Voici encore un petit déshabillé pour faire le matin mes exercices. LE MAÎTRE DE MUSIQUE. Il est galant. MONSIEUR JOURDAIN. Laquais !
PREMIER LAQUAIS. Monsieur. MONSIEUR JOURDAIN. L'autre laquais ! SECOND LAQUAIS. Monsieur. MONSIEUR JOURDAIN. Tenez ma robe. Me trouvez-vous bien comme cela ? LE MAÎTRE À DANSER. Fort bien. On ne peut pas mieux. MONSIEUR JOURDAIN. Voyons un peu votre affaire. LE MAÎTRE DE MUSIQUE. Je voudrais bien auparavant vous faire entendre un air qu'il vient de composer pour la sérénade que vous m'avez demandée. C'est un de mes écoliers, qui a pour ces sortes de choses un talent admirable. MONSIEUR JOURDAIN. Oui ; mais il ne fallait pas faire faire cela par un écolier, et vous n'étiez pas trop bon vous-même pour cette besogne-là. LE MAÎTRE DE MUSIQUE. Il ne faut pas, Monsieur, que le nom d'écolier vous abuse. Ces sortes d'écoliers en savent autant que les plus grands maîtres, et l'air est aussi beau qu'il s'en puisse faire. Écoutez seulement. MONSIEUR JOURDAIN. Donnez-moi ma robe pour mieux entendre... Attendez, je crois que je serai mieux sans robe... Non ; redonnez-la-moi, cela ira mieux. MUSICIEN, chantant. Je languis nuit et jour, et mon mal est extrême, Depuis qu'à vos rigueurs vos beaux yeux m'ont soumis ; Si vous traitez ainsi, belle Iris, qui vous aime, Hélas ! Que pourriez-vous faire à vos ennemis ? MONSIEUR JOURDAIN. Cette chanson me semble un peu lugubre, elle endort, et je voudrais que vous la pussiez un peu ragaillardir par-ci, par-là. LE MAÎTRE DE MUSIQUE. Il faut, Monsieur, que l'air soit accommodé aux paroles. MONSIEUR JOURDAIN. On m'en apprit un tout à fait joli, il y a quelque temps. Attendez... La... Comment est-ce qu'il dit ? LE MAÎTRE À DANSER. Par ma foi ! Je ne sais. MONSIEUR JOURDAIN. Il y a du mouton dedans. LE MAÎTRE À DANSER. Du mouton ? MONSIEUR JOURDAIN. Oui. Ah ! (Monsieur Jourdain chante.) Je croyais Janneton Aussi douce que belle, Je croyais Janneton Plus douce qu'un mouton : Hélas ! Hélas ! elle est cent fois ; Mille fois plus cruelle, Que n'est le tigre aux bois. N'est-il pas joli ? LE MAÎTRE DE MUSIQUE. Le plus joli du monde. LE MAÎTRE À DANSER. Et vous le chantez bien. MONSIEUR JOURDAIN. C'est sans avoir appris la musique. LE MAÎTRE DE MUSIQUE. Vous devriez l'apprendre, Monsieur, comme vous faites la danse. Ce sont deux arts qui ont une étroite liaison ensemble.
LE MAÎTRE À DANSER. Et qui ouvrent l'esprit d'un homme aux belles choses. MONSIEUR JOURDAIN. Est-ce que les gens de qualité apprennent aussi la musique ? LE MAÎTRE DE MUSIQUE. Oui, Monsieur. MONSIEUR JOURDAIN. Je l'apprendrai donc. Mais je ne sais quel temps je pourrai prendre ; car, outre le maître d'armes qui me montre, j'ai arrêté encore un maître de philosophie, qui doit commencer ce matin. LE MAÎTRE DE MUSIQUE. La philosophie est quelque chose ; mais la musique, Monsieur, la musique... LE MAÎTRE À DANSER. La musique et la danse... La musique et la danse, c'est là tout ce qu'il faut. LE MAÎTRE DE MUSIQUE. Il n'y a rien qui soit si utile dans un État que la musique LE MAÎTRE À DANSER. Il n'y a rien qui soit si nécessaire aux hommes que la danse. LE MAÎTRE DE MUSIQUE. Sans la musique, un État ne peut subsister. LE MAÎTRE À DANSER. Sans la danse, un homme ne saurait rien faire. LE MAÎTRE DE MUSIQUE. Tous les désordres ; toutes les guerres qu'on voit dans le monde, n'arrivent que pour n'apprendre pas la musique. LE MAÎTRE À DANSER. Tous les malheurs des hommes, tous les revers funestes dont les histoires sont remplies, les bévues des politiques, et les manquements des grands capitaines, tout cela n'est venu que faute de savoir danser. MONSIEUR JOURDAIN. Comment cela ? LE MAÎTRE DE MUSIQUE. La guerre ne vient-elle pas d'un manque d'union entre les hommes ? MONSIEUR JOURDAIN. Cela est vrai. LE MAÎTRE DE MUSIQUE. Et si tous les hommes apprenaient la musique, ne serait-ce pas le moyen de s'accorder ensemble, et de voir dans le monde la paix universelle ? MONSIEUR JOURDAIN. Vous avez raison. LE MAÎTRE À DANSER. Lorsqu'un homme a commis un manquement dans sa conduite, soit aux affaires de sa famille ou au gouvernement d'un État, ou au commandement d'une armée, ne dit-on pas toujours : "Un tel a fait un mauvais pas dans une telle affaire". MONSIEUR JOURDAIN. Oui, on dit cela. LE MAÎTRE À DANSER. Et faire un mauvais pas peut-il procéder d'autre chose que de ne savoir pas danser ? MONSIEUR JOURDAIN. Cela est vrai, vous avez raison tous deux. LE MAÎTRE À DANSER. C'est pour vous faire voir l'excellence et l'utilité de la danse et de la musique. MONSIEUR JOURDAIN. Je comprends cela à cette heure. LE MAÎTRE DE MUSIQUE. Voulez-vous voir nos deux affaires ? MONSIEUR JOURDAIN. Oui. LE MAÎTRE DE MUSIQUE. Je vous l'ai déjà dit, c'est un petit essai que j'ai fait autrefois des diverses passions que peut exprimer la musique.
MONSIEUR JOURDAIN. Fort bien. LE MAÎTRE DE MUSIQUE. Allons, avancez. Il faut vous figurer qu'ils sont habillés en bergers. MONSIEUR JOURDAIN. Pourquoi toujours des bergers ? On ne voit que cela partout. LE MAÎTRE À DANSER. Lorsqu'on a des personnes à faire parler en musique, il faut bien que, pour la vraisemblance, on donne dans la bergerie. Le chant a été de tout temps affecté aux bergers ; et il n'est guère naturel en dialogue que des princes ou des bourgeois chantent leurs passions. MONSIEUR JOURDAIN. Passe, passe, Voyons. (Dialogue en musique.) Une musicienne et deux musiciens Un cœur, dans l'amoureux empire, De mille soins est toujours agité : On dit qu'avec plaisir on languit, on soupire ; Mais, quoi qu'on puisse dire, Il n'est rien de si doux que notre liberté. PREMIER MUSICIEN. Il n'est rien de si doux que les tendres ardeurs. Qui font vivre deux cœurs Dans une même envie. On ne peut être heureux sans amoureux désirs : Otez l'amour de la vie, Vous en êtes les plaisirs. SECOND MUSICIEN. Il serait doux d'entrer sous l'amoureuse loi, Si l'on trouvait en amour de la foi ; Mais, hélas ! Ô rigueur cruelle ! On ne voit point de bergère fidèle, Et ce sexe inconstant, trop indigne du jour, Doit faire pour jamais renoncer à l'amour. PREMIER MUSICIEN. Aimable ardeur, MUSICIENNE. Franchise heureuse, SECOND MUSICIEN. Sexe trompeur, PREMIER MUSICIEN. Que tu m'es précieuse ! MUSICIENNE. Que tu plais à mon cœur ! SECOND MUSICIEN. Que tu me fais d'horreur ! PREMIER MUSICIEN. Ah ! Quitte pour aimer cette haine mortelle. MUSICIENNE. On peut, on peut te montrer Une bergère fidèle. SECOND MUSICIEN. Hélas ! où la rencontrer ? MUSICIENNE. Pour défendre notre gloire, Je te veux offrir mon cœur. SECOND MUSICIEN. Mais, Bergère, puis-je croire Qu'il ne sera point trompeur ? MUSICIENNE. Voyons par expérience Qui des deux aimera mieux. SECOND MUSICIEN. Qui manquera de constance, Le puissent perdre les Dieux !
TOUS TROIS. À des ardeurs si belles Laissons-nous enflammer : Ah ! qu'il est doux d'aimer, Quand deux cœurs sont fidèles ! MONSIEUR JOURDAIN. Est-ce tout ? LE MAÎTRE DE MUSIQUE. Oui. MONSIEUR JOURDAIN. Je trouve cela bien troussé, et il y a là dedans de petits dictons assez jolis. LE MAÎTRE À DANSER. Voici, pour mon affaire, un petit essai des plus beaux mouvements et des plus belles attitudes dont une danse puisse être variée. MONSIEUR JOURDAIN. Sont-ce encore des bergers ? LE MAÎTRE À DANSER. C'est ce qu'il vous plaira. Allons. PREMIER INTERMÈDE. Quatre Danseurs exécutent tous les mouvements différents et toutes les sortes de pas que le Maître à danser leur commande, et cette danse fait le premier intermède.   ACTE II SCÈNE I. Monsieur Jourdain, Maître de musique, Maître à danser, Laquais. MONSIEUR JOURDAIN. Voilà qui n'est point sot, et ces gens-là se trémoussent bien. LE MAÎTRE DE MUSIQUE. Lorsque la danse sera mêlée avec la musique, cela fera plus d'effet encore, et vous verrez quelque chose de galant dans le petit ballet que nous avons ajusté pour vous. MONSIEUR JOURDAIN. C'est pour tantôt au moins ; et la personne pour qui j'ai fait faire tout cela, me doit faire l'honneur de venir dîner céans. LE MAÎTRE À DANSER. Tout est prêt. LE MAÎTRE DE MUSIQUE. Au reste, Monsieur, ce n'est pas assez : il faut qu'une personne comme vous, qui êtes magnifique, et qui avez de l'inclination pour les belles choses, ait un concert de musique chez soi tous les mercredis ou tous les jeudis. MONSIEUR JOURDAIN. Est-ce que les gens de qualité en ont ? LE MAÎTRE DE MUSIQUE. Oui, Monsieur. MONSIEUR JOURDAIN. J'en aurai donc. Cela sera-t-il beau ? LE MAÎTRE DE MUSIQUE. Sans doute. Il vous faudra trois voix : un dessus, une haute-contre, et une basse, qui seront accompagnées d'une basse de viole, d'un théorbe, et d'un clavecin pour les basses continues, avec deux dessus de violon pour jouer les ritournelles. MONSIEUR JOURDAIN. Il y faudra mettre aussi une trompette marine. La trompette marine est un instrument qui me plaît, et qui est harmonieux.
LE MAÎTRE DE MUSIQUE. Laissez-nous gouverner les choses. MONSIEUR JOURDAIN. Au moins n'oubliez pas tantôt d'envoyer des musiciens, pour chanter à table. LE MAÎTRE DE MUSIQUE. Vous aurez tout ce qu'il vous faut. MONSIEUR JOURDAIN. Mais surtout, que le ballet soit beau. LE MAÎTRE DE MUSIQUE. Vous en serez content, et, entre autres choses, de certains menuets que vous y verrez. MONSIEUR JOURDAIN. Ah ! Les menuets sont ma danse, et je veux que vous me les voyiez danser. Allons, mon maître. LE MAÎTRE À DANSER. Un chapeau, Monsieur, s'il vous plaît. La, la, la ; La, la, la, la, la, la ; La, la, la, bis ; La, la, la ; La, la. En cadence, s'il vous plaît. La, la, la, la. La jambe droite. La, la, la. Ne remuez point tant les épaules. La, la, la, la, la ; La, la, la, la, la. Vos deux bras sont estropiés. La, la, la, la, la. Haussez la tête. Tournez la pointe du pied en dehors. La, la, la. Dressez votre corps. Euh ? LE MAÎTRE DE MUSIQUE. Voilà qui est le mieux du monde. MONSIEUR JOURDAIN. À propos. Apprenez-moi comme il faut faire une révérence pour saluer une marquise : j'en aurai besoin tantôt. LE MAÎTRE À DANSER. Une révérence pour saluer une marquise ? MONSIEUR JOURDAIN. Oui : une marquise qui s'appelle Dorimène. LE MAÎTRE À DANSER. Donnez-moi la main. MONSIEUR JOURDAIN. Non. Vous n'avez qu'à faire : je le retiendrai bien. LE MAÎTRE À DANSER. Si vous voulez la saluer avec beaucoup de respect, il faut faire d'abord une révérence en arrière, puis marcher vers elle avec trois révérences en avant, et à la dernière vous baisser jusqu'à ses genoux. MONSIEUR JOURDAIN. Faites un peu. Bon. PREMIER LAQUAIS. Monsieur, voilà votre maître d'armes qui est là. MONSIEUR JOURDAIN. Dis-lui qu'il entre ici pour me donner leçon. Je veux que vous me voyiez faire. SCÈNE II. Maître d'armes, Maître de musique, Maître à danser, Monsieur Jourdain, deux Laquais. LE MAÎTRE D'ARMES, après lui avoir mis le fleuret à la main. Allons, Monsieur, la révérence. Votre corps droit. Un peu penché sur la cuisse gauche. Les jambes point tant écartées. Vos pieds sur une même ligne. Votre poignet à l'opposite de votre hanche. La pointe de votre épée vis-à-vis de votre épaule. Le bras pas tout à fait si étendu. La main gauche à la hauteur de l'œil. L'épaule gauche plus quartée. La tête droite. Le regard assuré. Avancez. Le corps ferme. Touchez-moi l'épée de quarte, et achevez de même. Une, deux. Remettez-vous. Redoublez de pied ferme. Un saut en arrière. Quand vous portez la botte, Monsieur, il faut que l'épée parte la première, et que le corps soit bien effacé. Une, deux. Allons, touchez-moi l'épée de tierce, et achevez de même. Avancez. Le corps ferme. Avancez. Partez de là. Une, deux. Remettez-vous. Redoublez. Un saut en arrière. En garde, Monsieur, en garde. (Le maître d'armes, lui pousse deux ou trois bottes, en lui disant : "En garde.") MONSIEUR JOURDAIN. Euh ? LE MAÎTRE DE MUSIQUE. Vous faites des merveilles. LE MAÎTRE D'ARMES. Je vous l'ai déjà dit, tout le secret des armes ne consiste qu'en deux choses, à donner, et à ne point recevoir ; et comme je vous fis voir l'autre jour par raison démonstrative, il est impossible que vous receviez, si vous savez détourner l'épée de votre ennemi de la ligne de votre corps : ce qui ne dépend seulement que d'un petit mouvement du poignet ou en dedans, ou en dehors.
MONSIEUR JOURDAIN. De cette façon donc, un homme, sans avoir du cœur, est sûr de tuer son homme, et de n'être point tué. LE MAÎTRE D'ARMES. Sans doute. N'en vîtes-vous pas la démonstration ? Oui. LE MAÎTRE D'ARMES. Et c'est en quoi l'on voit de quelle considération nous autres nous devons être dans un État, et combien la science des armes l'emporte hautement sur toutes les autres sciences inutiles, comme la danse, la musique, la... LE MAÎTRE À DANSER. Tout beau, Monsieur le tireur d'armes : ne parlez de la danse qu'avec respect. LE MAÎTRE DE MUSIQUE. Apprenez, je vous prie, à mieux traiter l'excellence de la musique. LE MAÎTRE D'ARMES. Vous êtes de plaisantes gens, de vouloir comparer vos sciences à la mienne. LE MAÎTRE DE MUSIQUE. Voyez un peu l'homme d'importance ! LE MAÎTRE À DANSER. Voilà un plaisant animal, avec son plastron ! LE MAÎTRE D'ARMES. Mon petit maître à danser, je vous ferais danser comme il faut. Et vous, mon petit musicien, je vous ferais chanter de la belle manière. LE MAÎTRE À DANSER. Monsieur le batteur de fer, je vous apprendrai votre métier. MONSIEUR JOURDAIN, au Maître à danser. Êtes-vous fou de l'aller quereller, lui qui entend la tierce et la quarte, et qui sait tuer un homme par raison démonstrative ? LE MAÎTRE À DANSER. Je me moque de sa raison démonstrative, et de sa tierce et de sa quarte. MONSIEUR JOURDAIN. Tout doux, vous dis-je. LE MAÎTRE D'ARMES. Comment ? Petit impertinent. MONSIEUR JOURDAIN. Eh ! Mon Maître d'armes. LE MAÎTRE À DANSER. Comment ? Grand cheval de carrosse. MONSIEUR JOURDAIN. Eh ! Mon Maître à danser. LE MAÎTRE D'ARMES. Si je me jette sur vous... MONSIEUR JOURDAIN. Doucement. LE MAÎTRE À DANSER. Si je mets sur vous la main... MONSIEUR JOURDAIN. Tout beau. LE MAÎTRE D'ARMES. Je vous étrillerai d'un air... MONSIEUR JOURDAIN. De grâce ! LE MAÎTRE À DANSER. Je vous rosserai d'une manière... MONSIEUR JOURDAIN. Je vous prie. LE MAÎTRE DE MUSIQUE. Laissez-nous un peu lui apprendre à parler. Mon Dieu ! Arrêtez-vous !