Extrait du livre Les Migrateurs
Les Migrateurs de Vincent Gaudin et Karine Maincent aux éditions Kilowatt
Les Migrateurs
Jojo et Jolie, deux jeunes oisons, ont pointé le bout de leur bec, le même jour, dans des nids voisins. Depuis, ils ne se quittent plus d’une semelle. - Tu ne trouves pas que mes plumes sont trop sombres ? demande Jolie en observant son reflet sur l’eau. - Mademoiselle voudrait ressembler à un cygne tout blanc, peut-être ? - Oui, c’est plus élégant qu’un vilain corbeau comme toi ! - Ah oui ? Mademoiselle veut être une oie blanche ? Voilà un peu d’aide...
Aussitôt, Jojo se met à frapper à grands coups la surface du lac. Ses ailes brassent l’eau, qui devient rapidement boueuse. Il en asperge Jolie. En un rien de temps, elle se retrouve enduite de vase. - Que vous êtes jolie, mademoiselle ! rigole Jojo. Si votre ramage se rapporte à votre plumage, vous êtes sans nul doute la reine des hôtes de ce lac, comme dirait La Fontaine ! - Et vous, le plus vaseux des oiseaux du lac !
Jolie riposte en battant des ailes. La bataille dure jusqu’à ce que l’épuisement laisse les deux oisons sans forces. - Tu es propre, Jojo ? lance une voix. - Et toi aussi, Jolie ? ajoute une autre. - Oui, presque. Jojo et Jolie reprennent alors leur toilette à son début et se laissent sécher sous le soleil matinal. - C’est beau..., murmure Jojo. - Oh oui, confirme Jolie.
Au camp, l’ambiance n’est pas à la fête. Autour des parents de Jolie et Jojo, des oies discutent à voix basse, la mine grave.
- Nous devons partir au plus vite ! Les oiseaux de malheur se rapprochent à toute vitesse. Ils ont déjà envahi une grande partie du pays... Ils seront bientôt là, s’affole la mère de Jolie. - Ils imposent partout leurs lois terribles. Avec eux, plus le droit de dire ce qu’on pense ni même de rire.
- Gare à ceux qui s’opposent à eux... - Qu’est-ce qu’il leur arrive ? - Ils sont tout simplement éliminés, répond la mère de Jojo. - ... - Alors décollons d’ici sans tarder ! lance une jeune oie. - Seul le vieux jars peut décider du départ de la colonie vers les pays chauds ! s’offusque une autre. - Qu’est-ce qu’il attend ?
- Il attend des nouvelles ! les interrompt le vieux jars. Impossible de traverser les grandes plaines pour le moment... Des chasseurs sont postés côte à côte, pour nous tirer dessus comme des ballons à la fête foraine. Le malaise s’installe dans le groupe. Le vieux jars reprend : - Si une oie s’y aventurait, elle finirait dans un plat, entourée de pommes de terre ! J’envoie régulièrement des éclaireuses pour trouver un passage, mais elles reviennent toujours bredouilles.