Extrait du livre Jules et Sarah, course-poursuite à Hollywood
Jules et Sarah, course-poursuite à Hollywood de Grégoire Vallancien aux éditions ZéTooLu
Jules et Sarah, course-poursuite à Hollywood
Prologue En 1951, Hollywood était devenu une véritable usine à rêves. Dans les studios de la MGM (Metro-GoldwynMayer), tous les techniciens s’empressaient sur le tournage d’une nouvelle comédie musicale, Singin’ in the rain*. Spencer Broomhead, un jeune figurant arriva sur le plateau. Il était très impressionné par le décor gigantesque qui occupait la moitié du studio : une rue entière y avait été reconstituée. Une boutique de chapeaux et la devanture d’un café complétaient le décor dans lequel de véritables voitures circulaient. Spencer boutonna sa veste à carreaux et se coiffa d’une large casquette, il
était habillé à la mode des années 1920. Il observa, au-dessus du décor, de nombreux tuyaux qui arrosaient cette rue afin de simuler la pluie pour les besoins du film. Des quantités de spots pendus au plafond créaient une lumière artificielle parfaitement étudiée par le chef opérateur. Les rails d’un long travelling permettaient à la caméra de circuler en souplesse. Un cameraman et un cadreur ajustaient les derniers réglages. Spencer prit la place qui lui avait été indiquée, à côté d’un autre figurant. Il observait Gene Kelly, qui était à la fois acteur, danseur, chorégraphe et coréalisateur du film. Celui-ci répétait les pas de danse qu’il allait effectuer. Entreprendre un numéro de claquettes sur le trottoir, sauter à pieds joints dans une flaque d’eau puis tourner autour d’un lampadaire avec un parapluie à la main. Spencer discuta avec son voisin : —J’ai mis six mois à écrire un scénario, lui raconta celui-ci. Je suis sûr que si les studios me l’achètent, ça sera un grand succès. —Ah bon… donnez-le-moi, je le lirai rapidement, et je vous dirai ce que j’en pense, proposa Spencer. —Euh… c’est beaucoup de travail. Je ne peux pas vous le donner comme ça. —Vous avez raison, vous êtes prudent. Mais si vous voulez, je connais un producteur qui cherche des histoires intéressantes… allons le voir, c’est un ami. —Oui… pourquoi pas, mais… —Écoutez, retrouvons-nous ce soir à 20 heures sur Mulholland Drive, au niveau du Stone Canyon Overlook, vous voyez où c’est ? On filera voir
mon pote, je vous le dis, il cherche à produire des films nouveaux, c’est l’occasion de lui montrer votre travail. —Silence, on tourne! cria le réalisateur dans son porte-voix. • Mulholland Drive, le soir même. Deux voitures se garèrent sur le côté de la route. Une Pontiac rouge foncé avec les ailes chromées et une Chevrolet noire. Les conducteurs sortirent et se serrèrent la main dans la lumière des phares. L’un était petit et un peu enveloppé, l’autre avait une carrure de boxeur. —Mon ami ne pourra pas nous recevoir. Je suis désolé… mais montrez-moi votre scénario, dit Spencer, qui était le plus grand des deux. —Vous vous moquez de moi. Je vous vois venir : il n’y a pas de producteur, vous ne connaissez personne. Ne me prenez pas pour un idiot ! Spencer s’impatienta. —Allez, montrez-moi ça, ordonna-t-il en tentant de lui arracher le scénario. Mais l'homme lui donna un coup de poing. Spencer répliqua. L’homme tomba à la renverse. Sa tête cogna violemment contre le pare-chocs de sa voiture. Il mourut sur le coup. Alors Spencer fut pris de panique : il venait de tuer un homme! Puis, il réfléchit… Il assit le corps de sa victime dans sa voiture, derrière son volant. Il desserra le frein à main et poussa le véhicule dans le ravin qui bordait la route à cet endroit. La voiture dégringola dans la pente, fit des tonneaux sur elle-même, se fracassa contre des rochers et s’enflamma quelques dizaines de mètres plus bas…
La police arriva rapidement. Spencer raconta qu’il avait vu une voiture déraper et tomber dans le ravin. Les policiers notèrent son témoignage et Spencer repartit au volant de sa Chevrolet. Sur la banquette arrière reposait une enveloppe assez épaisse sur laquelle on pouvait lire : « La captive aux yeux verts - scénario». Chapitre 1 Welcome in L.A. L'Airbus A350 déployait ses aérofreins et atterrissait en douceur sur la piste de l’aéroport international de Los Angeles. Un soleil éclatant perçait à travers les baies vitrées du hall d’arrivée. Jules, sa sœur Sarah et leur cousine Betty faisaient la queue pour passer les contrôles de la douane. Jules chercha son passeport partout. Il vida ses poches en lançant des regards désespérés à Sarah. Il commença à s’inquiéter, puis à paniquer. La douanière, une femme costaude aux cheveux courts, s’impatientait avec un air soupçonneux.
Enfin! Il retrouva son passeport ! Il était coincé tout au fond de sa pochette de voyage. Derrière lui, Betty était hilare et Sarah lui adressa un regard navré qui en disait long. « Avec mon frère, c’est toujours comme ça…» pensait-elle. On est jumeaux, mais on ne se ressemble pas du tout. • Parmi les nombreuses personnes qui se pressaient pour accueillir les passagers, un jeune homme attendait patiemment, un grand verre de soda à la main. Il portait une chemise à manches courtes qui laissait entrevoir ses biceps et tenait une pancarte sur laquelle était écrit au feutre rouge : «Welcome in L.A. Betty, Jules and Sarah». —Nice to meet you, dit-il avec un grand sourire aux trois jeunes gens qui s’avançaient vers lui. —Bonjour, je suis Betty. Je pensais que mon frère Gus viendrait nous chercher. —Effectivement, mais il a été retenu par son travail à San Francisco. Il m’a demandé de le remplacer. Je m’appelle Teddy, se présenta-t-il. Jules et Sarah se regardèrent en riant intérieurement, c’était le nom de leur chien, quand ils étaient petits ! —Enchantée, dit Betty, un peu déçue tout de même de ne pas retrouver son frère. Déçue, mais pas surprise : c’est toujours comme ça avec Gus. —Il rentre dès demain, ou au pire après-demain, précisa Teddy pour les rassurer. • Gus les a invités à venir passer les vacances de Pâques à Los Angeles. Il a 34 ans et il est avocat. Il travaille surtout dans le milieu du cinéma pour
les agents de différents comédiens pour lesquels il faut rédiger des contrats très compliqués. Teddy récupéra un grand chariot métallique sur lequel il entassa trois valises, un sac à dos et une petite sacoche rose que Sarah prenait toujours avec elle. À grands pas, il entraîna les enfants à travers de larges couloirs bordés de boutiques de souvenirs et de fast-foods. Sarah et Betty entrèrent dans une pharmacie. Il leur fallait de la crème solaire. Jules en profita pour aller se chercher un hot dog, il adore ça. Un vrai, avec du chou, des oignons frits, du ketchup et de la moutarde sucrée… —Ok, je vous attends, déclara Teddy. En sortant de la pharmacie, les deux filles aperçurent un homme qui remontait la galerie en courant. L’homme se cogna dans une femme obèse, fit basculer une pile de bagages avant de percuter deux hôtesses de l’air. —Sorry for that ! leur cria l’homme en reprenant sa course dans le hall. «Cet homme a l’air vraiment pressé, on dirait qu’il fuit quelque chose», pensa Sarah. —Y’a des dingues, fit-elle observer à Teddy qui lui aussi avait vu cet homme cavaler comme un fou. Où est Jules ? —Il vaut mieux ne pas se séparer, on risque de se perdre, coupa Teddy visiblement contrarié. Ah… le voilà ! annonça-t-il en agitant sa main au-dessus de sa tête et en sautillant sur place. Jules en avait aussi profité pour s’acheter un journal avec la photo de l’actrice Paméla Johnson en couverture.
—Ai in-co-a be, dit-il la bouche pleine. Pamé-a on-on a é-é en eu-é… —Mange, tu nous parleras après, coupa sa sœur. —C’est incroyable, reprit-il après avoir avalé. Paméla Johnson a été enlevée. Mais je n’ai pas encore lu l’article. —Montre! Que je voie! demanda Sarah en lui arrachant la revue des mains. —All right, on est reparti ! enchaîna Teddy. • Après avoir traversé l’aéroport, ils arrivèrent au parking où Teddy désigna avec fierté une superbe voiture décapotable. Une Ford Mustang V8, rouge rutilant, belle comme un jouet. —C’est la voiture de Gus, il me la prête ces temps-ci. En fait je lui sers souvent de chauffeur. Je conduis même des stars quelques fois… En roulant sur la rampe d’accès en direction de la sortie, ils passèrent devant une sorte de soucoupe volante géante suspendue entre deux arceaux. —Les extraterrestres peuvent utiliser l’aéroport ? demanda Jules. —Ce n’est pas une soucoupe volante! C’est le Theme Building. Il abrite un restaurant panoramique, rigola Teddy en remettant ses lunettes de soleil. • La voiture emprunta les highways, des sortes d’autoroutes qui traversent la ville. Jules était monté à l’avant, sa sœur et sa cousine s’étaient
affalées à l’arrière, les cheveux au vent, la tête renversée, elles regardaient défiler les palmiers en riant. Il faisait beau, l’air était chaud, Teddy augmenta le son de la radio ; Stevie Wonder chantait Part Time Lover, une chanson qu’il adorait. Jules et Sarah aussi la connaissaient. Ils frappaient en rythme dans leurs mains ; les filles improvisèrent une sorte de chorégraphie sur la banquette arrière. Puis ce fut le flash d’informations. On parla de la disparition de l’actrice Paméla Johnson. La vedette de la série Malibu’s Girls avait été kidnappée devant chez elle, à Beverly Hills, précisait un journaliste. —Les filles de Malibu! Même en France, ça passe à la télé, déclara Jules. J’ai déjà regardé, c’est pas mal… —Vous savez, je suis comédien et j’ai auditionné pour jouer dans cette série, raconta Teddy avec un grand sourire. Malheureusement, ça n’a pas marché, avoua-t-il. Depuis l’autoroute, ils apercevaient au loin le quartier de Downtown avec ses tours de verre qui dominaient l’horizon parfaitement plat du reste de la ville. —Voici le quartier des affaires et de la finance, c’est là que nous allons, précisa Teddy. Gus habite dans l’une de ces tours. Mais je vous conduis d’abord à l’hôtel, vous verrez, ce n’est pas très loin de chez lui. Gus ne pouvait pas les recevoir chez lui. C’était trop petit. Betty, qui était déjà venue, le savait. —Il vit dans un loft à Downtown avec une cuisine américaine, une chambre, et un dressing plein de chemises et de costumes impeccablement rangés et aussi une belle collection de chaussures ! raconta-t-elle à ses cousins. Mais, pour nous, il n’y a pas de place. En plus, Gus est légèrement maniaque…