Extrait du livre Les devoirs d'Edmond
Les devoirs d'Edmond de Hugo Léger et Julie Rocheleau aux éditions Les 400 Coups
Les devoirs d'Edmond
Ma maman est morte. Je le dis comme c’est arrivé, brusquement.
Quelques minutes avant que la mer ne l’avale, on s’amusait tous les deux. Elle était le requin, j’étais le surfeur. On l’a retrouvée le lendemain, comme la boîte noire d’un avion. On ne meurt pas en vacances. C’est pas juste. On peut pas être très heureux et très malheureux la même journée. C’est trop rapproché. Elle était partie sur un catamaran. « J’y vais, le vent est bon », qu’elle a dit. Je voyais son point à l’horizon. Puis plus rien. Comme si elle s’était effacée elle-même avec la gomme de mon étui à crayons. Il est resté seulement une longue ligne bleue. Je suis en voyage d’elle pour toujours.
Nous revenons à Montréal. Dans l’avion, ma petite sœur Flavie est couchée en boule à côté de moi. Je mets ma main sur son épaule. Si elle ne dormait pas, je n’oserais pas. Je regarde un film censé être drôle. Je souris quand j’oublie que je suis triste. Je me demande où elle est. Je regarde par le hublot. On ne sait jamais. Les meilleurs des morts montent au ciel. Je l’ai lu dans un livre quand j’étais petit. Je fixe l’horizon. Elle n’est pas là. Mon père l’appelait mon ange. « Merci, mon ange. C’est gentil, mon ange. Bonne journée, mon ange. » C’est pas vrai. Je le vois bien. Elle n’est pas assise sur un nuage. Son corps est plutôt quelque part, entre deux valises, dans un sarcophage de plastique. Est-ce qu’il y a une chambre froide ? Dehors, il fait moins 43 degrés celsius. C’est écrit sur le petit écran. Mon père a les yeux fermés. Il ne dort pas, je le sens. Il préfère ne pas voir ce qui l’attend.
Nous avons décidé de l’incinérer. Incinérer, j’ai l’air de savoir ce que c’est, mais je n’avais jamais entendu ce mot-là de ma vie. C’est mon père qui l’a demandé. Elle est maintenant dans une urne. Elle a fini en cendres comme les cigarettes de mon oncle Mathieu. C’est bizarre. Un jour, elle est noyée. L’autre jour, brûlée. Bientôt, elle sera enterrée. Au salon funéraire, on vient me saluer. On m’embrasse, me passe la main dans les cheveux, me frotte le dos comme si on voulait me faire passer un rot. Des gens que je n’ai jamais vus pleurent à ma place. Ils ne sauront jamais combien je l’aimais gros. Mes condoléances. Ça veut dire quoi ? Sa maman à elle, ma grand-maman à moi, est assise seule dans un coin, à côté de la plante verte. Elle ne parle pas.Elle est simplement là. Immobile. C’est la première fois que je suis content qu’elle ait l’alzheimer.
Je retourne à l’école. Tout le monde me regarde comme si j’avais deux nez. Même mes amis ne m’approchent pas. Ils ont l’air plus malheureux que moi. Je ne suis pas contagieux. Je ne vais pas leur donner ma tristesse. Il y a juste Henri qui me demande : "Veux-tu jouer au ballon-chasseur ?" Ma professeure, madame Pascale, a demandé de garder une minute de silence à la mémoire de maman. Ça a été la minute la plus longue de tous les temps pour moi. Je ne me suis jamais senti aussi seul.
C’était censé être des vacances de rêve. Mes parents, ma sœur, une semaine à la mer, le plus loin possible de l’école. Cette journée-là, il faisait trop beau pour être vrai. Le soleil était là où il devait être dans le ciel. Très haut. Puis il s’est éteint. Est-ce que je vais être heureux une autre fois dans ma vie ? C’est comme si elle était partie avec un bout de moi. Celui qui raconte des blagues, qui joue des tours. Je ne la reverrai plus jamais. Je n’ai pas eu le temps de l’embrasser. De la serrer dans mes bras. De lui dire : « À demain, méchant requin. » Ma joie est portée disparue, elle aussi.
Notre appartement ne ressemble plus à celui que je connaissais. Il a rétréci, je pense. Quand il manque quelqu’un, il devient plus petit ? Bizarre, on pourrait penser le contraire. C’est la nuit que je pleure. Quand il n’y a que le noir pour me voir. Le jour, j’arrête mes enfantillages. Je dois être fort. Faire ma part dans la maison. J’ai 10 ans. Même si je suis petit, je suis plus vieux que la taille que je fais. J’aide mon papa qui est devenu maigre. Je ne le reconnais plus. J’ai peur qu’il fasse pouf ! et qu’il s’évapore comme les fantômes dans les bandes dessinées. Je vois bien qu’il essaie d’être joyeux, de ne pas me communiquer sa peine. Il joue à me faire plaisir.