Extrait du livre Livio, hyperhéros
Livio, hyperhéros de Marie Lenne-Fouquet et Lisa Blumen aux éditions Kilowatt
Livio, hyperhéros
Chapitre 1 J’ai du mal à garder l’équilibre sur les épaules de mon frère. Je m’agrippe à sa tignasse en pagaille. Il grogne. – Ouilllle !! Stella, fais gaffe ! – Pardon mais arrête de gigoter ! Va un peu à droite ! Oui... encore... Stop !
Je lâche la tête de Livio et attrape une branche du cerisier du voisin pour cueillir quelques petits fruits bien rouges, puis je les passe à Livio qui les glisse dans les poches de son sweat. – Avance encore un peu… Je manque de tomber sous les mouvements brusques de mon jumeau mais me retiens in extremis au rebord du grand mur. J’arrache les dernières cerises que je peux encore atteindre. Livio se penche sans ménagement afin de me laisser descendre. On grignote les fruits sucrés sans se presser sur les quelques mètres qui nous séparent de la maison. En me tournant vers mon frère, je ne peux pas m’empêcher de rire : – Livio, tu devrais te regarder dans le miroir ! Sa bouche, ses mains et son pull sont maculés de petites taches écarlates. Nos parents vont râler : il est incapable de passer une journée sans se salir. Il hausse les épaules en souriant mais je vois son regard s’assombrir d’un seul coup. Je sais immédiatement à quoi il pense. Les parents ne vont pas seulement se fâcher pour un pull sale. Il y a surtout cet avertissement en rouge, dans son carnet de liaison. Une page de plus qui explique en long et en large que Livio n’a pas respecté les règles de l’école et qu’il est formellement interdit d’escalader le toit de la bibliothèque... Livio est malheureusement coutumier de ce genre de mots à nos parents. En CP, c’était tous les jours. Mon frère ne connaît pas le mode pause, jamais. Alors, après avoir usé deux maîtresses et un peu trop souvent la chaise du bureau de la directrice, mes parents se sont décidés à
rencontrer des tas de spécialistes avec Livio. Il a fallu d’abord vérifier ses oreilles et ses yeux, puis chercher à comprendre comment fonctionnait son cerveau. Livio voit très bien, entend tout et comprend parfaitement. Il n’a pas de handicap visible, mais à force de rendez-vous, on sait maintenant qu’il a des « troubles du comportement associés à une hyperactivité ». Des termes compliqués pour dire qu’il ne s’arrête jamais et qu’il a énormément d’énergie. Pour faire du sport, jouer à la console, courir dans la cour, il n’est pas handicapé. Mais pour se concentrer à l’école, si. Tout petit déjà on disait qu’il était remuant, bavard, maladroit, mais quand il a fallu rester assis sur une chaise et apprendre à lire, les choses se sont aggravées.
Finalement, Livio n’a pas de lunettes sur le nez ou d’appareils dans les oreilles, mais il bénéficie d’une A.E.S.H., une Accompagnante pour Élève en Situation de Handicap. C’est plus sympa mais ça ne se range pas dans le casier quand on en a marre. Elle s’appelle Sophie et elle est très chouette. Son travail, c’est aiguilleur du ciel dans la tête de mon frère. Elle souffle les consignes de la maîtresse pour qu’elles arrivent à bon port dans le fracas de pensées de Livio, pose une main apaisante sur son épaule si besoin, le rappelle à l’ordre avec des yeux calmes et une voix qui prend son temps. Ensuite c’est à Livio d’apprendre à gérer ses difficultés. Alors parfois, ça déborde quand même. Comme aujourd’hui, ce matin même où il s’est dit qu’il pourrait récupérer le ballon sur le toit de la bibliothèque en escaladant le portail. Je l’avais prévenu, je me doutais que ce n’était pas une bonne idée, qu’il allait se faire punir. Mais ôter une idée de la tête de mon frère est le truc le plus difficile à faire de tout l’univers. Alors il a grimpé malgré tout, sans hésiter, avec cette aisance de ouistiti si incroyable à observer, encouragé par les cris d’enthousiasme des copains. Et avant même l’arrivée précipitée de la maîtresse, il était déjà sur le toit du bâtiment, le ballon sous le bras et le sourire sous les oreilles. Il allait de nouveau pouvoir jouer au foot et, sur l’instant, c’était tout ce qui lui importait.
Chapitre 2 Lorsque l’on passe la porte de la cuisine, maman nous accueille avec un sourire… qui se transforme en sourcils froncés. – Livio ? Pourquoi cette tête ? Que s’est-il passé ? Quelque chose me dit que ce n’est pas qu’à cause de ce joli pull bariolé de cerise… Mon frère soupire puis avoue le coup du ballon sur le toit et avale un énième sermon sur le danger et le respect des règles en même temps que son goûter. Maman s’agite autour de lui. – Et tu ne t’es pas dit que, peut-être, ça pouvait être dangereux ? – Bah… non… enfin si. Je sais pas. Je crois que je sais où mettre mes pieds et puis c’est allé très vite dans ma tête et j’ai réussi à récupérer le ballon, alors ça va. – Tu as pris des risques énormes pour un ballon et « ça va » ?? Livio, je sais que c’est souvent plus fort que toi, mais il faut grandir aussi ! Livio se balance sur sa chaise tout en jouant à faire sauter des miettes de pain sur la nappe. Ça l’aide à réfléchir. – je le f’rai plus, m’man.